vendredi 29 novembre 2013

Touré Kunda, de Ziguinchor à Paris



Il était une fois 2 frères, nés à 22 jours d’intervalle. Nous sommes en 1950 (ou 1949 selon certaines sources). Ismaïla et Cheikh Tidiane Touré voient le jour à Ziguinchor. Les deux frères passent une enfance bercée par la musique distillée par leur frère aîné Amadou.

En 1973, Ismaïla émigre en Europe s’adonnant tant bien que mal à sa passion. Il est rejoint à Paris 4 ans plus tard par son inséparable frère Cheikh Tidiane, qui prendra comme nom de scène Sixu.

Ainsi, les deux frères cheminent dans la capitale parisienne essayant d’imposer leur concept musical à base de reggae et de musique traditionnelle. Ils titillent une première fois la curiosité du public parisien lors du festival Africa Fête à Pantin en 1977. Profitant de leur succès, ils s’installent pendant quelques semaines au Théâtre Dunois dans le XIIIème et y jouent tous les soirs. De jour en jour, la foule des curieux grossit, et leur succès trouve un aboutissement matérialisé par leur premier 33T, intitulé ISMAILA DO SIXUX.

C’est à ce moment précis qu’ils prennent la décision de se renommer « Touré Kunda » pour affirmer leurs racines casamançaises. Les deux frères sont rejoints par leur aîné Amadou en 1979 et l’année suivante, sort le premier disque labellisé Touré Kunda : E’Mma Africa.




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Le succès de cet album porté par le tube E’Mma est immédiat. Touré Kunda se produit en tournée et le succès est au rendez-vous. Ils deviennent ainsi le premier groupe africain à s’imposer dans l’Hexagone. Ils enregistrent un deuxième album intitulé Turu qui paraît en 1982. Un album aux sonorités reggae (Kalo Kalo et Hamidu) et afro. Les morceaux Guedj et Waar sont de petits chefs d’œuvre.


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Et la vie du Touré Kunda de poursuivre son cours entre tournées et festivals, insouciance et liberté, jusqu’à ce funeste jour de janvier 1983 où Amadou décède des suites d’une crise cardiaque, en plein concert à la Chapelle des Lombards dans le XIème arrondissement. Amadou est inhumé en Casamance et il est remplacé au sein de l’orchestre par Ousmane Touré, le petit frère, dans la même année. Et c’est en toute logique que l’album qui paraît en 1983 porte le titre d’Amadou Tilo. Un excellent opus porté par des morceaux tels que Salya, Casa di Mansa, E’Mbalma et surtout, l’excellent Labrador.


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Cet album ne porte pas encore la trace vocale d’Ousmane, le nouveau venu, mais ce dernier ne va pas tarder à imposer sa sublime voix. Car, il faut le dire, Dieu a doté Ousmane d’une voix exceptionnelle, doublé d’un talent supérieur à ses frères dans la chanson pure. Et c’est donc en 1984, dans l’album Casamance au Clair de Lune, que se révèle le cadet des frères Touré. A travers la plage qui ouvre l’album, à savoir Ne Nam, on sent déjà la différence. Autres chansons marquantes, le traditionnel Ninki Nanka et le très bon Sol Mal.

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Mais l’événement le plus marquant de cette année 1984, c’est la parution de l’album Live Paris-Ziguinchor. Attention, album de légende !

Accueil triomphal à Ziguinchor (1984)

Cet album retrace la tournée effectuée par les Touré Kunda aux quatre coins de la planète et qui s’est achevée en apothéose au Stade Demba Diop, en passant par un triomphe à Ziguinchor. Autant l’album Xarit du Xalam est inégalable au panthéon des albums studio, autant ce live est indépassable. Les musiciens sont d’une justesse et d’une virtuosité incroyables, et on sent vraiment la maturité du groupe. Point d’orgue de l’opus : E’Mma bien entendu ! L’album sera double disque d’or et nommé aux Victoires de la Musique. Un triomphe absolument mérité.


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A la fin de cette année 1984 de tous les succès, ils participent aussi à l’album caricatif Tam-Tam pour l’Ethiopie. L’année suivante (1985), paraît Natalia dans un style plus proche des Caraïbes. Un opus de très grande qualité, magnifié par l’excellent chant populaire Nidiaye, avec un Ousmane Touré plus rayonnant que jamais.

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L’album qui paraît l’année suivante, en fin d’année 1986 plus précisément, s’intitulera d’abord Toubab Bi, puis Karadindi suite au changement de maison de disques des Touré Kunda. En effet, en 1987, ils quittent Celluloid pour rejoindre Trema. Toubab Bi est dans le prolongement de Natalia et le morceau star est Wadini.

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Wadini


En 1990, Touré Kunda connaît un autre coup dur : le départ d’Ousmane Touré pour cause de divergence de vues avec ses deux frères. Il est remplacé par Hamidou, autre frère qui réside à Paris. Problème : Hamidou souffre énormément de la comparaison avec Ousmane, et s’effacera vite au profit d’Ismaïla et Sixu. En 1990, après 4 années sans production, Touré Kunda sort Salam. Un disque de qualité moyenne, si on le compare aux précédents. Les frères Touré se rattraperont en 1992 avec le bon Sili Beto, qui n’a certes pas la même puissance que les albums des années dorées, mais qui contient quelques perles comme Fatou Yo et Casalé.

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S’en suivent 4 années de traversée du désert au bout desquelles paraît l’album qui marque un premier retour : Mouslaï. Cet opus recèle d’un des plus beaux morceaux jamais produits par le groupe : Fondinke (merci à mon grand Boni). Que dis-je « un morceau » ? Un chef d’œuvre trop court plutôt !


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Fondinke

A partir de là, la carrière des Touré Kunda s’est quelque peu enlisée, car n’ayant plus rien à prouver. Leur dernière production est Santhiaba paru en 2008.

mercredi 27 novembre 2013

Le Xalam II, groupe de légende

Dakar, 1969. De jeunes musiciens de la capitale dakaroise décident de mettre sur pied un orchestre, qui prend d'abord le nom de Cadets Xalam. En effet, il existait un orchestre nommé Xalam (on l'appellera plus tard Xalam 1 pour faire le distingo avec le futur Xalam 2) qui avait été créé par le (futur) Pr Sakhir Thiam au début des années 60.

Le Xalam en 1979

Ainsi, ces jeunes se destinaient alors à prendre la succession du premier Xalam mis en sommeil suite au départ pour la France de Sakhir Thiam. Qui étaient-ils d’ailleurs ?

Les premiers membres du « Cadets Xalam » furent Henri Guillabert , Ibrahima Coundoul , Abdoulaye Prosper Niang , Moussa Diongue, et Abdou Mboup. De tous ces jeunes, seul « Brams » Coundoul avait participé à l’aventure du Xalam 1.

Comme je le disais plus haut, ils reprirent d’abord les standards du Xalam 1, mais très vite, ils se mirent à créer de nouvelles compositions et prirent définitivement le nom de Xalam 2. Ils sortent leur premier opus officiel en 1975. Il est intitulé DAIDA.

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Mais, le groupe est financièrement exsangue et traverse une passe difficile. Ils sont au bord du précipice, près de tout plaquer, quand Hugh Masekela leur tend la main.

En 1977, le groupe entame ainsi une tournée africaine en compagnie de Masekela et de Myriam Makeba. Ils comprirent alors qu’ils devaient faire évoluer leur musique vers plus de modernité et commencèrent à jouer de l’afro-beat, à l’image de ce que faisaient les grands groupes africains comme Osibisa.

En 1979, sort le premier disque moderne du Xalam 2 : ADE. Ce premier album est porté par la chanson Ade et surtout l’inoubliable Kanu.

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Le groupe commence alors vraiment à se faire connaître sur le plan international à travers des concerts et des festivals. En 1983, sort un album revendicatif : GOREE. Dans cet album, un premier retour aux racines s’effectue avec les chansons Gorée et Soweto. A noter les excellentes reprises que sont Ade2 et l’immense Kanu2.

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En 1984, le Xalam est choisi par Michel Blanc pour réaliser une partie de la BO de son film, Marche à l'ombre. En 1985, le visage du Xalam 2 est complètement transformé par l’arrivée du chanteur Souleymane Faye. En effet, jusque-là, les chansons étaient surtout interprétées par « Brams » Coundoul, et l’arrivée de Diego le relèguera ipso facto à la portion congrue. 

Il faut dire que Souleymane Faye est un génie de la voix comme il y en a très peu au Sénégal. Cette arrivée est suivie très peu de temps après par celle de Jean-Philippe Rykiel, claviste prodige, fils de la styliste Sonia Rykiel et celle du guitariste Cheikh Tidiane Tall qui avait déjà participé à l’aventure du Xalam 1. 

Cette refonte du Xalam débouchera en 1986 sur l’album APARTHEID. Un album encore une fois engagé et qui a la chance d’être porté par l’immense Doley. Une chanson d’une puissance absolument phénoménale. Aussi bien sur le plan des paroles que de la musique. 

Ce qui marque dès le début de la chanson, c’est la virtuosité et la précision de Prosper Niang. Un jeu brut, puissant, supporté par la ligne de basse de Baye Babou. Et là, vient se poser la voix d’un Souleymane Faye que les sénégalais découvrirent sous un jour qu’ils ignoraient.

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Mais, ce n’était là que le début de l’apothéose, car dès l’année suivante, en 1987, le Xalam enregistre ce qui peut être considéré comme son sommet musical : XARIT (aka NDIGUEUL). Xarit, c’est simplement ce qu’un groupe sénégalais a fait de mieux en terme de musique. Rien que ça. Et c’est un fan de Youssou qui le dit. Xarit, ce sont 8 chansons incontournables du tonique Nitou Tey (C’est pas bon) à l’émouvant Walyane. On passe par tous les états : du jazzy Keur Gui au survitaminé Lemme, du merveilleux Xarit à l’époustouflant Ndiguël qui est, pour moi, la cerise sur le gâteau.

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Malheureusement, peu de temps après la sortie de Xarit, le 29 avril 1988, Prosper Niang disparaît des suites d’un cancer. Le Xalam perd son âme et Souleymane Faye, son tuteur. Pros’ est le meilleur batteur qu’a connu le Sénégal et son départ laissera le Xalam aphone pendant 2 ans. Souleymane Faye, dont Prosper était le protecteur, quitte le groupe et Seydina Insa Wade arrive. Mais la magie n’opère plus. Malgré tout, le Xalam sort une cassette nationale en 1990 : Gestu Gëstu. Cet opus est porté par un medley de 13 minutes reprenant diverses chansons du groupe. Il aura un beau succès auprès du public sénégalais.

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Cet album sera suivi en 1993 par l’anonyme Wam Sabindam. Malgré tout, le Xalam est invité en 1994 (en compagnie de Youssou Ndour) à se produire au Festival célébrant les 25 ans de Woodstock.

Après cet évènement, ce sera un long sommeil pendant lequel les membres du Xalam se produiront chacun de leur côté. Et ce n’est qu’en 2008 que le groupe se reformera, accueillant un nouveau batteur (Abdoulaye Zon).

jeudi 14 novembre 2013

Ballades sénégalaises

Ces ballades montrent toute la richesse de la musique sénégalaise, de Laye Mboup à Youssou Ndour.

Cette playlist commence d'ailleurs par le fabuleux "Mbëggeel" de Laye Mboup, la plus belle ballade de toutes. Ce n'est pas pour rien qu'elle a été reprise par Youssou. Notez aussi la présence de "Dungaap" du trop méconnu et éphémère Orchestre Gorom.



mercredi 13 novembre 2013

Studio A de Detroit, la maison de la Soul

Vous connaissez sans doute les tubes SOUL des années 60/70, Respect (Aretha Franklin), My Girl (The Temptations), I heard it through the grapevine, What'’s going on (Marvin Gaye) etc…. Eh bien, tous ces tubes et la totalité des albums dans lesquels ils se trouvent, ont été joués par des musiciens connus sous le nom de FUNK BROTHERS…. 

Ce sont eux qui ont fait le son Motown, tous enregistrés dans le fameux Studio A de Detroit. Eux, c’'est James Jamerson (basse), Earl Van Dyke (Claviers), Johnny Griffith, Joe Hunter, Marvin Gaye (qui a joué de la batterie de 1959 à 1962 avant de devenir définitivement un chanteur), Jack Ashford, Pistol Allen (Drums). 


Le mythique Studio A

 Lorsqu'’en 1959, Berry Gordy décide de créer la Motown, sa maison de disque à Detroit, il va chercher dans les clubs de jazz de la ville des musiciens pour accompagner ses chanteurs. Ces illustres inconnus qui ont créé et interprété les accompagnements des chansons de la Motown pendant une décennie. Un groupe que personne ne connaît et qui a pourtant enregistré plus de hits qu'’Elvis Presley, les Beach Boys, les Rolling Stones et les Beatles réunis !!!! 

Parmi eux, un génie, un des plus grands bassistes de l'’histoire (avec Jaco Pastorius et John Entwistle): James Jamerson. Il a inspiré tous les bassistes actuels et même un peu plus vieux tels Marcus Miller, Nathan East etc…. Si vous avez un jour la curiosité d’écouter «I was made to love her» de Stevie Wonder, vous saurez de quoi je cause. Ce morceau contient ce que les puristes considèrent comme la plus ingénieuse partition de basse jamais écrite. Tout partait de lui. 


James Jamerson (à g.) et Pistol Allen

Comme je l’'ai dit plus haut, ces musiciens autodidactes sont à l’'origine de quelques unes des plus grandes chansons du 20ème siècle et ont pourtant vécu dans l’'anonymat le plus complet! Malheureusement, en 1970, leur maison de disque part s’établir en Californie (L.A.). Ils n'’ont plus de boulot et pour beaucoup d'’entre eux, c'’est l’'alcool, la misère…. Pourtant, en 71, Marvin Gaye, devenu une superstar et par ailleurs beau frère de Berry Gordy, décide de sortir un disque revendicatif (par rapport à la Guerre du Vietnam), très engagé politiquement et écologique (Mercy Mercy Me). 

Il a entretemps perdu sa partenaire, sa grande amie Tammi Terell (Your Precious love). Gordy refuse, pensant que ce serait un échec. Marvin menace de quitter Madame et Gordy cède. Bien lui en prit. "What’'s going" on est considéré comme l'’album ultime de la Soul Music, le plus abouti, à l'’instar de Kind of Blue (Miles Davis le Grand) pour le jazz.

Bref, figurez-vous que c’est sur ce disque que les Funk Brothers seront « crédités » pour la première fois de leur vie. C’est-à-dire avoir leur nom inscrit sur la pochette. Il aura fallu 11 ans pour que ceux ont fait le plus grand nombre de tubes dans l'’histoire soient « crédités ». Cela ne suffira portant pas à freiner leur descente aux enfers.


Stevie Wonder et Marvin Gaye

Une anecdote à propos de James Jamerson : la nuit où ils devaient enregistrer la musique de "What'’s going on", pierre angulaire du disque, James était introuvable…. Il s’'était encore saoûlé dans un bar minable. Pourtant, Marvin, qui sait que sans le génie de Jamerson rien n'’est pareil, saute dans sa voiture et sillonne les bars mal famés de Detroit. Il trouve James dans un piteux état et le ramène au Studio pour qu'’il désaoûle. 

Arrivé au studio, James décide de jouer, malgré son état. Problème : il ne peut se tenir droit sur son tabouret. Et il se couche à même le parquet et commence à jouer la partition qu’il a improvisée…. Ce fut la bonne prise…. Un génie quoi…!

Je pense que, comme moi, vous n’écouterez plus jamais What'’s going on de la même manière. Heureusement, mais beaucoup trop tard, un film sorti en 2002, de Allan Slutsky, leur hommage. Il s’'intitule «Standing in the Shadows of Motown». Tout fan de black music devrait le voir. Après avoir vu ce film, vous n'’écouterez plus jamais de la même manière les hits de la Motown.